...une belle Légende pour commencer l'été... avec H.Gougaud!!
pas à pas, dans les rues... vous entendrez l'écho du passé!
écoutez, les pierres, les portes parlent!...
La légende de la rue Git-le-Coeur(4/4)
Le chien qui parut devant lui était terrifiant. Quand il aperçut Jean la Fleur, le tonnerre roula dans sa gorge, et le feu crépita dans ses yeux. Il se dressa sur ses quatre pattes massives et tendit en avant sa gueule écumante. Entre ses crocs aussi effilés que poignards d’acier, Jean vit briller la clé de cuivre.
- Comment pourrai-je venir à bout d’un tel monstre, moi si chétif ? se dit-il. Assurément, me voilà aussi dépourvu qu’un oiselet dans le roulement de la foudre !
Et, tout tremblant, il tendit la main droite, comme il lui avait été ordonné.
L’énorme chien poussa un hurlement qui fit trembler les murailles et bondit, la gueule grande ouverte. Mais aussitôt, la clé de cuivre lui échappa, tintant joyeusement sur le carrelage et roulant aux pieds de Jean la Fleur qui fit un bond merveilleux pour s’en saisir ! Comment le monstre aurait-il pu s’attendre à tant d’agilité de la part d’un jeune homme à l’air si doux ? Ses crocs claquèrent sur le vide, et de dépit, il se mit à gémir comme pour demander pitié !
- Tu es vaincu, stupide animal ! cria Jean la Fleur en riant.
Alors le chien féroce devint sur-le-champ plus doux qu’un agnelet et salua son vainqueur avec un infini respect.
La deuxième porte ouverte, Jean la Fleur découvrit un lion rugissant. Sa taille était celle d’un cheval. Dans sa crinière nichaient des aigles. Ses griffes étaient de longs couteaux bien aiguisés. Un frisson de sa patte faisait trembler le sol, et d’un seul coup de sa longue queue il aurait pu déraciner un chêne.
- Qui ose paraître devant moi et troubler mon repos ? Homme insensé, misérable avorton, espères-tu revoir la lumière du soleil après avoir contemplé ma face ?
Ainsi parla le lion dans sa colère.
- Seigneur, l’amour seul me conduit en ces lieux, et que le feu du ciel me brise les épaules si je ne dis pas la pure vérité ! Seul me tient debout devant toi l’espoir de délivrer la princesse captive, et s’il est dit que je ne dois pas y parvenir, la mort me sera plus douce que la lumière du soleil !
Ainsi parla Jean la Fleur.
- La pitié n’habite pas ces murs, homme fou, et tes paroles ne font que m’irriter comme volée de mouches ! Prépare-toi à mourir, car, j’en fais le serment par ma flamboyante crinière, tu n’iras pas plus loin !
Jean la Fleur, alors, tomba à genoux, assuré que sa dernière heure était venue. Et dans son désespoir il voulut chanter une dernière fois la chanson qu’il avait composée sur la borne de la ruelle pour l’amour de sa bien-aimée qu’il désespéra de revoir :
Ici gît un coeur de princesse
je suis mendiant de ses caresses
passant gardez-en souvenir…
Alors le lion retint sa griffe prête à s’abattre et dit :
- Ta mélodie est belle, homme, et ta voix me charme étrangement…
Et Jean la Fleur continua :
Gît le coeur que la pierre enchaîne
ici je chanterai ma peine
et les vents viendront y gémir…
- Décidément, dit le lion, j’ai idée que tu es un homme de bien, et je sens à t’entendre se radoucir la chaleur de mon sang ! Dis-moi, toi qui sors à peine de l’enfance, que voudrais-tu de moi ?
- Je ne voudrais, seigneur lion, qu’une clé d’argent que vous tenez en votre possession. S’il vous plaît de me la confier, j’appellerai sur vous toutes les bénédictions du ciel et de la terre car nul bonheur, par Dieu, ne sera comparable au mien !
- Ce que tu me demandes là est grave, dit le lion, car cette clé ouvre la porte des quatre serpents, et seul, tu ne pourras jamais échapper à leur terrible puissance. Mais je veux aider l’homme qui a su toucher mon coeur par la musique de sa voix.
Voici la clé d’argent. Tu vas ouvrir la porte, puis grimper sur mon dos et te cacher dans ma crinière.
Ensuite tiens-toi ferme, et que Dieu t’assiste ! Car tu n’auras jamais traversé aussi épouvantable tempête !
Ainsi firent-ils. Jean la Fleur se lia solidement à la crinière du lion, et de la sorte chevauchant, il se sentit emporté dans un vertigineux tourbillon.
Il lui sembla que la terre s’ouvrait sous les griffes de sa monture, engloutissant le ciel et les étoiles.
Le fracas de la bataille réveilla le diable dans sa retraite, faisant voler en éclats les portes de l’enfer, et mille fois Jean la Fleur fut près d’être emporté dans les remous des ténèbres jusqu’à l’instant où tout s’apaisa.
Il voit alors quatre serpents raides morts. A côté d’eux brillait une clé d’or, et le coeur de Jean se dilata dans sa poitrine, car il sut qu’il avait triomphé désormais de tous les obstacles.
Il se saisit du précieux objet et le lion lui dit :
- Je vais te ramener à la première porte, car le jour décline et tu dois être sorti d’ici avant la nuit tombée. Tu iras incontinent briser la clé d’or sur cette borne où tu as si longtemps chanté.
Alors la terre s’ouvrira et tu connaîtras l’amour de la princesse captive.
Adieu, Jean la Fleur, je te souhaite longue vie !
Ainsi fut fait. Jean la Fleur brisa la clé d’or sur la borne de la vieille ruelle.
Aussitôt la terre s’ouvrit, et la princesse fut dans ses bras.
Quelques temps après on célébra leurs noces qui durèrent sept jours entiers.
Et les gens du quartier, en souvenir de la chanson de Jean la Fleur, baptisèrent la rue où tout commença et tout finit : Gît le coeur.
"conte de la huchette" - Henri GOUGAUD.