LA NAISSANCE DE LA LAVANDE
Beaucoup de légendes provençales que je connais figurent sur ce forum, mais celle qui suit, je ne crois pas. Je la trouve si belle que je veux vous la faire partager :
Cette histoire se passe au Moyen-Age, en Provence en un lieu où s’étendait un superbe champ d’oliviers. Les arbres centenaires étaient fiers d’offrir au vieil homme qui était leur propriétaire.
Une année, ils eurent à affronter un hiver catastrophique. Les arbres séculaires pensèrent d’abord à une vague de froid passagère. Mais un matin de février, une formidable tempête s’abattit sur la plaine. Les oliviers en avaient vu d’autres et ce n’est pas de la neige projetée par le mistral qui les effrayait. Mais voilà qu’à minuit le tonnerre se mit à claquer alors que le vent rugissait tel un fauve furieux. Les arbres tentaient de résister stoïquement.
Au petit matin, ils se félicitaient mutuellement de leur héroïque attitude.
La nuit suivante fut pire encore. Le température devint glaciale et la tempête redoubla de force et de violence. Pendant que les arbres enduraient avec bravoure les charge de la tornade, la foudre tomba au beau milieu du verger dans une indicible détonation.
Le lendemain matin, le propriétaire, le Père Fontanille, découvrit l’un de ses protégés gisant, déraciné, les branches disloquées. Il pouvait, grâce à un élixir mis au point par son père, réparer les blessures de ses chers oliviers, mais contre le mal irréversible de celui-ci il ne possédait pas de remède.
Le lendemain, il décida de débiter l’arbre déraciné puis de l’apporter à Marius, le sculpteur, afin que celui-ci lui donne une nouvelle vie en taillant dans son bois des ustensiles pour la table et le plaisir des touristes. Cela valait mieux que de finir comme bois de chauffage.
Le paysan ne se consolant pas de la perte du plus beau de ses oliviers prit la décision de le remplacer par un arbre fruitier qu’on lui avait donné et dont les branches devaient, prétendait-on, porter de délicieuses boules sucrées et à la chair juteuse. C’est ainsi que le mirabellier, inconnu en cette région, y fit son entrée.
Quel ne fut pas l’étonnement des oliviers à la vue de ses feuilles « vert grenouille » et d’une forme tellement bizarre. Les mois passèrent et le mirabellier se sentait bien seul.
Et au printemps, ses voisins dédaigneux s’esclaffèrent : « vous avez vu comme ses fleurs sont ridicules ! Aussi grosses, c’est bon pour des mouches à miel. ».
A l’automne, les arbres ne souffrant plus du tout de leurs blessures se couvrirent de mille et mille olives alors que le mirabellier esseulé se morfondait.
Désespéré, le printemps suivant, il ne déplia même plus ses feuilles.
Le Père Fontanille ne savait plus que faire.
Un soir, alors qu’il arpentait l’oliveraie en réfléchissant à une solution miracle, dans un geste maladroit il bris avec sa fourche la plus grosse branche de l’arbre et un déluge de sève coula de la blessure. Le vieil homme se précipita au mas pour quérir l’élixir et revint en tout hate pour soigner et cajoler le mutilé. Il le consola d’un flot de paroles et de potion3
Dès le lendemain matin, les bourgeons recroquevillés de tristesse éclatèrent ! Des bouquets de fleurs s’épanouirent qui firent place à de petits fruits qui grossissaient chaque jour. Le mirabellier avait retrouvé sa joie de vivre.
Les abeilles se mirent à butiner goulûment les drupes mures.
Un matin, un enfant vint à passer par là et cueillit quelques mirabelles dont il se régala sans mesure. Puis une jeune fille en savoura quelques unes avec délectation. Un ancien passant par là s’arrêta net. Il venait de reconnaître ce prunier qu’il avait rencontré au Moyen-Orient et dont il avait rapporté un scion.
Le pauvre mirabellier, quant à lui, ne se sentait pas bien. Dans l’euphorie du bonheur, il avit réussi à oublier l’hostilité de ses voisins mais après plusieurs semaines, il était encore davantage mis à l’écart par les arbres qui lui enviaient un tel succès.
Le lendemain, un étranger vint à passer par là. Il fut ébloui par le mirabellier. Il voulut absolument faire la connaissance de son propriétaire. Aussitôt il proposa au père Fontanille de lui acheter, ce que ce dernier accepta, instinctivement conscient de la peine du mirabellier face à l’inimitié des oliviers.
A la tombée du jour, les deux hommes entreprirent de le déterrer avec moult précautions, pour ne traumatiser ni les racines, ni les branches, ni les fruits.
L’arbre, peu habitué à de tels gestes d’amour et à de telles marques de sollicitude, en fut si touché qu’une perle toute de bonheur et de sève roula le long de son tronc avant de disparaître dans le sol.
Le lendemain, une magnifique touffe de lavande fleurit à l’emplacement exact où la larme du mirabellier avait coulé et pénétré en terre.
On raconte depuis que cet étranger des marches de l’Est regagna sa lointaine contrée, afin de replanter l’arbre aux bonbons d’or et que celui-ci proliféra à l’aune de l’amour de son nouveau maître et de ses charmants voisins de verger, pommiers et quetschiers.
Et c’est ainsi que la lavande naquit en Provence, de la larme de bonheur d’un mirabellier et que la Lorraine fut choisie pour terre d’élection par la mirabelle.
Tiré de « Contes et légendes de Provence » Nicole Lazzarini : Editions Ouest-France