La bestio del gebaudan ou La bête du Gévaudan.On regroupe sous le terme Bête du Gévaudan une série d'évènements qui eurent lieu dans cette contrée (le Gévaudan, dans le centre de la France) de juin 1764 au 19 juin 1767. Durant cette période, 104 attaques mortelles et de nombreuses autres, non mortelles, furent attribuées à un animal (qu'on considéra tout d'abord en haut lieu comme étant un loup, ce que les témoignages locaux démentirent ensuite) ou plusieurs animaux.
Localisation :
La Bête a sévi dans le diocèse du Gévaudan, qui, de nos jours correspond au département de la Lozère, et des parties du Cantal et de la Haute-Loire.
Le Gévaudan est un pays sauvage délimité :
·à l'est : par l'Allier, jusqu'au confluent de la Desge,
·au sud : par les gorges de la Jonte, les Cévennes et le Mont Aigoual,
·au nord : par la Desge et le Bes,
·à l'ouest : par les monts Aubrac et Causse Méjean,
soit un territoire de 6500 kilomètres carrés.
L'environnement du Gévaudan est constitué de vallées et de montagnes très boisées. Les villages sont éloignés de plusieurs kilomètres les uns des autres, et la rareté des routes à l'époque de l'affaire rendait les déplacements difficiles, longs et dangereux.
Sur le lieu de la mort de la Bête : Les montagnes de Margeride sont constituées de landes à bruyères, pins et myrtilles, de blocs de granit et de hêtraies dans les pentes. Elles étaient bien moins boisées à cette époque qu'actuellement (vastes plantations d'épicéas) et les troupeaux de moutons pouvaient donc paître très haut. Mais elles ont un climat très rude (il y subsiste des plantes de l'âge glaciaire) rendant impossibles les battues d'hiver, et les chevaux des chasseurs s'embourbaient même dans les nombreuses tourbières (les "sagnes" ou "molières").
Les attaques :
La première victime officielle de la Bête fut Jeanne Boulet, jeune fille âgée de 14 ans, tuée le 30 juin 1764, au village des Hubacs (près de Langogne) dans la paroisse de Saint-Étienne-de-Lugdarès en Vivarais. La victime fut enterrée « sans sacrements », n'ayant pu se confesser avant sa mort. On relève toutefois que la consignation de sa mort par le curé de la paroisse mentionne qu'elle fut victime de LA bête féroce, ce qui suggère qu'elle ne fut pas la première victime réelle mais seulement la première déclarée... Suivra un carnage qui va terroriser la région pendant 3 ans.
Les conjectures :
Certains supposent (sans qu'aucune preuve ait pour le moment été apportée) qu'un homme avait dressé un ou plusieurs croisements de chiens et de loups en leur apprenant à se nourrir de chair humaine. Certains indices pourraient laisser penser que cet homme ou ces hommes auraient été des détraqués sexuels (selon des témoignages de l'époque, la "bête" a déshabillé et décapité certaines de ses victimes). Parmi les suspects figure une famille défavorablement connue dans la région, les Chastel. L'emprisonnement des Chastel (de courte durée, pour des motifs d'outrage aux autorités venues chasser la bête) n'eut cependant aucune incidence notable sur les attaques.
D'autres hypothèses évoquent plus simplement un ou des animaux sauvages : loups, hybrides de loups et de chiens, hyène, ours, lion, singe,..., échappés des mains de leur conducteur. À moins que certains criminels n'aient profité des circonstances pour mettre leurs propres crimes sur le compte d'animaux.
La traque :
Devant l'ampleur de l'affaire, les autorités se décidèrent à mander divers chasseurs afin d'organiser des battues auxquelles participèrent de plus en plus de monde. Dragons, louvetiers et porte-arquebuse du roi se succédèrent alors pour "courir sus à la Bête". Les résultats furent, à tout le moins, décevants. Il faudra attendre le 20 septembre 1765 pour qu'un grand loup soit abattu par le porte-arquebuse du roi, François Antoine (souvent surnommé, par erreur, de Beauterne). La "Bête", ou du moins ce qui en tenait lieu puisque l'animal tué était bien un loup, fut naturalisée et envoyée à Versailles puis déposée au Cabinet du Roi, futur Muséum National d'Histoire Naturelle. Pour le roi Louis XV et la Cour, l'affaire était close...
Le calme sembla revenir, mais en décembre, les crimes reprenaient. Les autorités se désintéressaient alors de l'affaire, concluant à des coïncidences. Le pays du Gévaudan allait devoir vivre presque encore deux ans avec "sa Bête, celle-ci ne faisant cependant "que" 6 morts en 1766 et 18 durant les 6 premiers mois de 1767 malgré les continuelles battues (celles de 1765 comptèrent jusqu'à 30000 personnes, paysans pour la plupart) Enfin, le 19 juin 1767, au cours d'une chasse dans les bois de la Ténazeyre, au lieu-dit la Sogne d'Auvers, c'est Jean Chastel (lequel avait été précédemment emprisonné ainsi qu'il a été dit), un homme du hameau de la Besseyre-Saint-Mary, qui abat un animal ressemblant à un loup d'une taille très importante. Des récits ultérieurs relatèrent l'histoire, disant cet homme étrange et le soupçonnant de sorcellerie, lui faisant employer une balle bénite. Il est, en revanche, avéré que les agressions cessèrent à compter de cette date.
Les mystères :
Outre le fait que la Bête ait fait un nombre considérable de victimes, de nombreux détails la concernant sont curieux :
·Sa nature morphologique : c'est très certainement un canidé, mais d'aspect inhabituel. Il pourrait s'agir d'un hybride de chien et de loup (cf rapport du notaire Marin, rédigé dans les heures qui ont suivi la mort de la Bête).
·Sa relative invulnérabilité : le manque d'efficacité des armes a fait supposer qu'elle a pu porter parfois une cuirasse, par exemple faite en peaux de sanglier.
·Son ubiquité : la bête est aperçue dans un très faible intervalle de temps en des lieux distants de plusieurs kilomètres les uns des autres. Ces distances, bien qu'extrêmes dans certains cas, restent cependant envisageables pour un seul animal.
·Sa familiarité, son audace : elle ne semble pas craindre l'homme. Au moins 22 fois, des victimes ont été attaquées en plein village. Presque toutes les attaques ont eu lieu de jour.
·Son agressivité : la bête ne semble pas attaquer uniquement sous l'impulsion de la faim et fait preuve d'un grand acharnement.
·Son agilité : exceptionnelle aux yeux des témoins.
·La mise en scène humaine dans certains meurtres (habits disposés près de la victime selon des sources non authentifiables).
Tentatives d’explications :
Malgré le fait que les sources d'époque soient parfois peu fiables ou mal interprétées, notamment sur les lieux et les scènes exactes des carnages, un certain nombre de points obligent à privilégier un faisceau de probabilités qui dessinent un tableau s'approchant sans doute de la réalité.
·L'hypothèse surnaturelle n'est pas prise en compte.
·Les agressions ne peuvent pas toutes être l'œuvre d'un homme (toutes les personnes ayant survécu à une attaque ont décrit un animal dans les témoignages authentifiés).
·Il semble que les agressions ont diverses origines, attaques classiques de loups, mais surtout attaques d'une bête particulière. On ne peut évidemment exclure, mais cela n'est pas prouvé, des attaques d'un ou de plusieurs criminels profitant du contexte.
·L'hypothèse d'une mise en scène dans le cas de la bête tuée par François Antoine (utilisant un loup de taille spectaculaire amené du zoo de Paris) ne repose que sur des conjectures sans preuves. En effet, le zoo de Vincennes est né de l'exposition coloniale de 1931 et la ménagerie du Jardin des Plantes n'a vu le jour que sous Napoléon 1er...
·La bête tuée par Jean Chastel pourrait avoir été un animal apprivoisé et entraîné à tuer, selon certaines théories ; en tous cas, sa description est, de toute évidence, celle d'un canidé.
·Aucune preuve ne permet d'accuser la famille Chastel ni la noblesse locale qui aurait couvert ses agissements.
·L'usage du terme "bête" (au lieu de "loup") par les témoins, alors que cet animal bien connu dans les campagnes de l'époque aurait dû être identifié sans conteste, est plus que troublant. De plus, les loups chassent généralement en meute, et il est admis par les spécialistes que les attaques de loups contre des être humains sont très rares.
·Le fait que toutes les victimes n'ayant pas réchappé aux attaques aient été des femmes et des enfants, s'il peut de prime abord faire penser à l'œuvre d'un tueur sadique, s'explique sans doute par les circonstances de l'époque : ces victimes - souvent très jeunes - gardaient seules les troupeaux et constituaient donc des proies plus faciles que les hommes travaillant, eux, la plupart du temps en groupe et munis d'outils (faux, fourche, hache, ...) pouvant aisément se transformer en armes de défense.
Quoi qu'il en soit, Jean Chastel a tué une bête reconnue comme étant LA Bête par de nombreux témoins, y compris des rescapés d'attaques, dont la description mentionne qu'elle fait penser à un loup mais n'en est pas un, et les attaques ont cessé à compter de ce moment...
Pourtant, en 1819, dans un petit fascicule vendu 1 franc au Jardin des Plantes, on pouvait lire: « Description de ce qu’il y a de remarquable à la Ménagerie et au Cabinet d’Histoire Naturelle; concernant la vie et les habitudes des Animaux féroces qui sont renfermés tant à la Ménagerie que dans la Vallée Suisse : Suivie des Curiosités qui se trouvent au Cabinet d’Histoire Naturelle. Imprimerie J. MORONVAL, Paris, 1819. » aux pages 5 et 6 :
« 5. La Hyenne barrée d’Orient.- ... Ce féroce et indomptable animal est rangé dans la classe du loup cervier; il habite l’Egypte, il parcourt les tombeaux pour en arracher les cadavres; le jour, il attaque les hommes, les femmes et les enfans, et les dévore. Il porte une crinière sur son dos, barrée comme le tigre royal ; celle-ci est de la même espèce que celle que l’on voit au cabinet d’Histoire Naturelle, et qui a dévoré, dans le Gévaudan, une grande quantité de personnes. » Ce petit fascicule est toujours consultable à la Bibliothèque Centrale du Muséum National d’Histoire Naturelle, 38 rue Geoffroy Saint Hilaire Paris 5 où il est archivé sous la cote: 8° Rés. 48.
Cet animal est donc clairement identifié comme une hyène rayée et non comme un loup. Ce spécimen naturalisé n'est plus présent dans les collections du Muséum National d'Histoire Naturelle. Le mystère reste donc entier.